À l’occasion d’un héritage, une Parisienne dont la vie bourgeoise ne souffre aucune remise en question se révèle médium, à l’aube de ses quarante ans. Cette faculté, d’abord violemment refusée, va bouleverser sa vie et l’obliger à reconsidérer son existence. Gabrielle est parisienne, elle vient d’avoir quarante ans quand un notaire lui apprend qu’elle hérite d’une masure au milieu de nulle part, en France, dans l’isolement d’une forêt. Bien décidée à s’en débarrasser, Gabrielle s’arrange, se libère de ses rendez-vous (elle dirige une agence de prestations événementielles), prend sa voiture pour éviter douze heures de tortillard et sans plus s’interroger sur l’héritage en question, informe mari et fils de sa toute prochaine désertion en ces lieux improbables, afin d’aller signer actes de propriété et autres mandats de mise en vente. Arrivée au village indiqué, Gabrielle, accompagnée d’un agent immobilier, va découvrir ce bien dont elle ne veut pas, qu’elle n’attendait pas puisqu’il appartenait aux grands-parents de sa mère aujourd’hui décédée : des gens dont elle n’a jamais entendu parler. Une forêt, un enchevêtrement d’arbres et de ronces dans lequel se trouve enfermée depuis des décennies une maison dont une seule pièce demeure à l’abri du ciel. Dix hectares alentours traversés par une rivière blottie dans les replis d’une végétation dévorante se trouvent soudain là, sous ses yeux, concrètement, et lui reviennent en héritage. Suite à une série de déconvenues hôtelières, Gabrielle passera la nuit seule dans cette ruine isolée.
Décision prise en situation extrême – pas d’autres solutions – ou arrogante assurance d’une citadine voulant jouer au sauvage ? Sans sourciller elle s’organise. « La campagne c’est affreux » disait Audiard, « la journée on s’ennuie et la nuit on a peur. » Mais ce soir-là Gabrielle n’a pas vraiment peur. Après avoir trouvé la rivière et découvert, sans la moindre inquiétude pour le chemin parcouru, un point d’eau claire, la nuit se répand sur la forêt. Des odeurs, le feulement d’une présence animale et les contours des arbres d’une beauté insoupçonnable plongent Gabrielle dans une étrange sérénité, elle retrouve son chemin ou un autre peut-être, s’installe dans la ruine et s’endort sans difficulté, rêve de ce point d’eau claire, un rêve si concret qu’il lui semble réel quand au matin le jour se lève. Sans état d’âme, elle quitte la masure, passe au village, règle ses affaires et repart pour Paris. Mais sur sa route à quelque distance de là, les lueurs affolées d’un enchevêtrement de tôles attirent son attention : elle arrive seule et la première sur les lieux d’un accident terrifiant. Gabrielle s’avance pas à pas, à la fois affolée et très sûre d’elle. Un corps souffrant, une femme allongée, disloquée sous ses yeux, un regard éperdu dans l’effroi l’appelle à l’aide, et Gabrielle, mains soudain posées sur ce corps, l’apaise et lui vient visiblement en aide. Déstabilisée par la puissance magnétique de cet échange, Gabrielle retire ses mains immédiatement. Gabrielle est une femme sans aucun penchant pour l’étrange. Son histoire est celle d’un basculement dans un monde jusqu’alors inexistant pour elle, un monde qui ne l’intéresse pas. Gabrielle se découvre médium et va, dans un premier temps, développer une solide énergie pour ignorer ce don qu’elle considère comme une méprise. Mais lentement elle progresse dans un monde qui se trouve être le sien bien qu’en sommeil depuis longtemps. Cette femme aborde alors un territoire où les chemins d’accès pour l’au-delà sont béants. Elle s’approche mais ne perd pas de vue la réalité de sa vie. Elle s’approche et entraîne avec elle le lecteur qui, comme elle, n’est pas forcément prêt à croire, à voir l’abyssal envers du décor de nos pensées cartésiennes. Un roman à ne pas lire seul dans le bruissement de vos vies. Ou inversement : un livre à lire seul pour entendre et pour voir ce que sont réellement les bruits ou les formes qui traversent vos demeures la nuit. Et pas seulement la nuit. Un livre jubilatoire et assurément inquiétant.
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